Il n’y a pas plus nébuleux que le concept d’abus de droit fiscal tel que défini dans l’article L64 du Livre des Procédures Fiscales (LPF). Entre volonté de sanctionner les montages fiscaux trop habiles et d’anticiper les failles des textes fiscaux qui s’accumulent, l’abus de droit est un outil complexe mis à la disposition du fisc français pour se prémunir des abus des contribuables “un peu trop “adroits”.
Je vais donc tenter de vous expliquer en quoi consiste la procédure d’abus de droit, fort heureusement, rarement engagée par l’administration fiscale.
Qu’est-ce que l’abus de droit fiscal ?
C’est donc un outil de sanction, à la disposition du fisc, pour punir les stratèges fiscaux qui usent et abusent de certaines libertés du droit laissées par l’administration. En effet, un arrêt de la Cour de Cassation de 1854 donne aux contribuables la possibilité d’utiliser la voie la plus adaptée sans pour autant utiliser la voie imposée.
En clair, il s’agit donc d’explorer les vides juridiques et d’interpréter de manière subjective les lois et règlements là où il est possible de le faire. Les fiscalistes s’engouffrent régulièrement dans la brèche. Cependant, la procédure d’abus de droit est là pour rappeler à l’ordre ceux qui abuseraient des largesses d’interprétation de la loi pour en retirer un bénéfice personnel et donc léser l’administration fiscale.
Je vous propose de rentrer dans le détail de l’abus de droit afin d’en comprendre les mécanismes, mais aussi les limites.
Quels sont les mécanismes de l’abus de droit ?
L’abus de droit fiscal ne concerne pas le simple fraudeur qui se contente de dissimuler quelques charges. Cette procédure s’adresse principalement aux fiscalistes qui jonglent trop bien avec les lois pour mettre au point des montages fiscaux exploitant les failles juridiques.
Cependant, cette définition serait bien trop restrictive pour avoir un quelconque effet. L’article L64 du Livre des Procédures Fiscales fixe donc des dispositions bien plus précises, notamment au niveau des caractères de la fraude.
Les dispositions de l’article L64 du Livre des Procédures Fiscales
Vous l’aurez compris, tout part des dispositions de l’article L64 du LPF affiné par la loi de Finance de 2008 d’où émane 3 instructions fiscales promulguées en 2010. Ces instructions ont donc clarifié l’article L64 tant au niveau de sa définition qu’au niveau des applications résultantes.
L’article L64 dispose que “afin d’en restituer le véritable caractère, l’administration est en droit d’écarter, comme ne lui étant pas opposables, les actes constitutifs d’un abus de droit, soit que ces actes ont un caractère fictif, soit que, recherchant le bénéfice d’une application littérale des textes ou de décisions à l’encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ils n’ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d’éluder ou d’atténuer les charges fiscales que l’intéressé, si ces actes n’avaient pas été passés ou réalisés, aurait normalement supportées eu égard à sa situation ou à ses activités réelles”.
Clairement, l’article stipule que deux caractères frauduleux doivent être présents afin de justifier l’abus de droit fiscal :
- soit le caractère fictif du montage
- soit le caractère frauduleux du montage dans le but d’en retirer un bénéfice personnel en désavantageant l’administration fiscale
Les caractères frauduleux sanctionnés par la procédure d’abus de droit
Ils sont donc au nombre de deux et méritent chacun quelques explications supplémentaires afin d’en saisir la subtilité juridique.
- Le caractère fictif des actes : Il s’agit ici de prendre le sens du mot fictif dans son sens premier, c’est-à-dire non réel. Il s’agit donc d’avoir déclaré un fait mais sans que cela produise d’effet dans la réalité. Je prends un exemple concret pour être plus clair dans mon propos : un loyer déclaré mais non payé viendra diminuer le bénéfice de l’entreprise et donc la base d’imposition. L’administration fiscale se retrouvera donc lésée d’une partie de l’impôt qu’elle aurait dû percevoir. Le loyer est la base de l’acte fictif.
- Le caractère frauduleux poursuivi par un but exclusivement fiscal : Là, l’article L64 définit le but ainsi que les conditions pour que ce caractère soit prouvé.
Le but : Diminuer ou éviter en toute connaissance de cause une dette fiscale. Par exemple, la perception indue d’un crédit d’impôt.
- La condition de la recherche du bénéfice au détriment de l’administration fiscale
- La condition de la motivation exclusive de la recherche de ce bénéfice par l’auteur
Quelle est la procédure d’abus de droit fiscal ?
Quand l’administration fiscale détecte un montage fiscal tendancieux, elle doit se plier à une procédure stricte de rectification définie par l’article 1653E du Code Général des Impôts et les articles R 64-1 et R 64-2 du Livre des Procédures Fiscales.
L’administration fiscale doit donc notifier une proposition de rectification aux contribuables suspectés d’abus de droit fiscal. Lesquels disposent alors d’un délai de 30 jours pour contester la proposition de rectification. Il est bien entendu que pour contester, il faut apporter des éléments de preuve conséquents afin de prouver qu’il n’y a pas eu d’intention de frauder.
Sachez tout de même que la proposition de rectification n’est valide que si elle comporte le nom et prénom et la signature de l’inspecteur qui vous adresse ce document. L’inspecteur en question doit être au moins Inspecteur Divisionnaire, sans quoi la procédure n’est pas valide. De plus, la proposition de rectification doit énoncer clairement les faits reprochés et les conséquences fiscales.
Enfin, si vous n’êtes pas d’accord avec cette procédure, vous avez la possibilité de saisir le Comité de l’abus de droit fiscal. Il sera alors chargé d’étudier votre dossier et de se prononcer sur l’existence ou non de l’abus de droit fiscal. Il est bon également de noter que l’administration fiscale peut aussi saisir ce Comité de son côté.
Quels sont les actes “dans le radar” de l’abus de droit ?
Les inspecteurs fiscaux ne disposent pas de boules de cristal pour repérer les montages fiscaux rentrant dans le cadre de l’abus de droit fiscal mais sont rodés à mettre sous surveillance certaines activités de l’entreprise. Il y a donc des actes assez courant d’ailleurs de la vie des entreprises qui vont être plus précisément épluchés par le fisc. Parmi eux, je peux vous citer :
- la création de sociétés sans activité économique
- les sociétés créées dans le but de racheter d’autres sociétés ou de prendre des participations de titres
- les montages juridiques trop complexes destinés à masquer des activités souvent frauduleuses
- les opérations émanant d’une même entreprise se suivant à un rythme soutenu
Plus clairement, toutes les opérations fiscales dont le but est de prendre le contrôle d’une autre ou bien seulement une participation ou encore les entreprises aux activités économiques intermittentes sont dans la ligne de mire de l’administration fiscale.
Cependant, nombre de ces opérations se font aussi couramment sans pour autant chercher à flouer le fisc. La question de la frontière entre l’abus de droit fiscal et le fonctionnement normal d’une entreprise se pose alors.
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